À Tarkovski


Branka Fotić
Revue française de l’orthodoxie, 1992.



Paysanne du Danube, au carrefour de I'Europe de l'Est, apatride à l'heure du paradoxe slove, je me tournai intensément vers l'homme vivant, gloire de Dieu. Scrutant, d'un regard transfigurant, la substonce composant Ie cæur des êtres, – ma patrie, ma Jérusalem ! – je ne pus y trouver des demeures lumineuses, révélatrice de la Parole de vie. Quelques rares auteurs trouvèrent grâce à mes yeux de petite fille avide d'illuminations spirituelles, bien vite relégués dans la pénombre d'une mémoire faste, jours de désespoir... Une autre pénombre appelait ma conscience de vérité: la Nuit glorieuse et silencieuse du septième art, lorsque retentit I'accord grave, joyeux, pascal du carillon créateur, destiné à exprimer la vie elle-même sans motif symbolique, sons méditation métaphysique, qu'est la poétique du Désir tarkovskienne ; un sens réel, battement du cæur d'un jeune garçon sauvé seul par le Temps Intérieur de son propre émeryeillement ; le fondeur de cloche d'Andreï Roublev éveilla l'écho de mon âme, de la foi en I'innocence ; la contemplation juste comme signe de présence d'une participation délicate, vagabonde, profonde à un évènement fondateur d'histoire sainte. Il est quelque chose de plus vrai que la prière, c'est la simple existence sous le regard de Dieu. Cette cloche perdait son sens de symbole, elle n'était pas chargée d'une conception du monde représenté, mais exprimait le sens propre d'un monde enfanté par la grâce, la sensation immédiate de sa réalité transcendonte, caressée par un cæur pur. Elle battait la mesure de ma résurrection intellectuelle. La délicatesse indépassable (« oisive jeunesse à tout osservie, par délicatesse j'ai perdu ma vie ») du créateur responsable devant les hommes et surtout devant Dieu (« je n'ai pas choisi d'être ceci ou cela. Je fais les films que je fais parce que je ne peux pas faire autrement. Mes sujets s'imposent à moi. Je suis ce que je suis. C'est une question d'honnêteté devant les hommes. Mais surtout devant Dieu ») de son art d'amour confère à Tarkovski l'âge d'or de l'homme en quête de sa vocation, le son grave et juste d'une liturgie intérieure, timbre unique d'une voix dont les millénaires à venir seront le déchifftement du sens cristallin, de cette présence annoncée du paradis déjà là en creux dans la réalité du monde : « C'est que l'homme doit aspirer à une grandeur spirituelle, il doit laisser derrière lui des choses qui obligeront les autres à en déchiffter les énigmes pendant des millénaires, et non des ruines qui ne seront évoquées qu'en termes de catastrophes. (...) ».